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sans terre
08.2022

« Chão », traduit « sans terre » en français, est le titre d’un long-métrage documentaire de la réalisatrice brésilienne Camila Freitas. La terre est sa protagoniste. Montrée avec lenteur et sans romantisme. Elle a quelque chose de reconnaissable et d’effrayant. Elle n’a ni de début ni de fin. Son propriétaire est invisible. Dès les premières minutes, un grondement sourd émane de l’image. Celui de la menace ? La terre est impartiale. Elle ne participe pas à la lutte de ses occupants. S’ils ont choisi cette parcelle, eux, c’est qu’ils entrevoient la possibilité qu’elle puisse leur être cédée via un laborieux processus judiciaire visant à lui redonner une « fonction sociale ». Elle jouxte une usine de canne à sucre en faillite depuis une dizaine d’années. Après avoir été jugé coupable de fraude fiscale, le groupe qui possède l’usine a contracté une dette de plusieurs milliards de reais auprès de l’Etat brésilien. Camila Freitas filme la lutte à la hauteur des corps et pas à celle des institutions politiques. La lutte est longue. Le labeur quotidien, les réunions militantes, rêver, manger, la nuit épaisse et sans électricité, la vie en communauté, se lever tôt, la poussière rouge que laisse une tempête. La photographie est très belle. Les occupants de cette terre semblent avoir pris un parti radical et simple à la fois. Ils expliquent que c’est l’alternative, pour eux, qui était devenue radicale. Ils s’organisent au sein du MST, le « mouvement des travailleurs ruraux sans terre », un mouvement social essentiel en Amérique du Sud mais qui tend à être criminalisé. On perçoit, dans le documentaire, que les mots ont leur importance. Se justifier de vouloir mettre fin à une concentration phénoménale de la terre dans les mains de très peu. Camila Freitas filme sans apitoiement. Elle filme silencieusement, mais opiniâtrement, pour ceux qui ne voudraient pas entendre. Elle a choisi des personnages forts. C’est un documentaire qui ressemble parfois à une fiction. Le monde extérieur fait de rares apparitions à l’écran, entre un spot publicitaire « Agro Brasil », et les scènes d’un jugement où des messieurs expliquent verbeusement que la loi les empêche de procéder à la cession du bout de terre. La loi dont ils font quelque chose d’aussi permanent et d’impartial que la terre. La loi pèse bien peu devant la terre.

Vu sur MUBI en août 2020. Revu en août 2022 à la cité internationale des arts, à Paris, où Camila Freitas est en résidence.

Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=lbOVGVoYGu8

image extraite de la bande-annonce