Le journal de voyage n’aura pas d’espace pour les jours et leurs lieux. Je n’envisageais pas d’écrire. Pourtant une rencontre m’y a poussée : le génie de Fernando Pessoa. J’ai emmené en voyage le livre de son hétéronome, Alvaro de Campos « Passage des heures », et j’ai acheté un crayon à papier qui redonne du pouvoir d’action à mes mains.
J'ai rendu visite à deux maisons lisboètes. La maison Pessoa, où est présentée une folle frise des hétéronomes du poète. La casa do Bico, dont la façade est remarquablement criblée de pierres en pointe de diamant. Au rez-de-chaussée du bâtiment, des fouilles archéologiques démontrent l’évolution de la ville par la berge. Les étages supérieurs sont consacrés à l’écrivain José Saramago. Enfant opiniâtre, adulte opiniâtre, il écrit de longues phrases, ses lectures enregistrées sont ponctuées de r, t, p, saillants. Les pages de son agenda sont minutieusement exposées. Un écrivain, comment travaille-t-il ?
Devant chaque paysage littoral, je retrouve des destinations invisibles. A Lisbonne, il n’y a pas de destination, il n’y a rien d’autre que le bleu grave du Tage qui me suspend dans l’air entre une rue et une autre place altière. Tage est le mot qui convient le plus pour « bleu ». Il renverse mon obsession. C’est mon front qui devient la destination du Tage.
La langue dit « n’oubliez pas les consonnes », elle se resserre, des pierres, sans pluies, des déclivités. Ce pays et cette langue ne me rappellent pas le temps. Au fur et à mesure, le ralentissement arrive. On découvre les heures dont on avait besoin, sans l’avoir su, pour réaliser le quotidien : se lever, prendre ses repas, dormir.