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le jardin de Philippe Rahm
01.2022

Le mot « jardin » possède un pouvoir de séduction discret qui a présidé au choix de cet ouvrage, entre la monographie et la revue, dans l’esprit des éditions B2. J’avais déjà aperçu les graphiques colorés de l’agence de Philippe Rahm. Son propos, c’est l’architecture comme « un art de la construction de climats ». Son prétexte, c’est le projet du parc central de Taichung, sur l’île de Taïwan. Il en a conçu les 70 hectares suite à un concours international qu’il a remporté avec Ricky Liu, architecte, et Catherine Mosbach, paysagiste.

Les météores sont des objets « mi-machine, mi-pavillon » qui rappellent les folies du parc de La Villette à Paris. Elles font office d’entrée en matière. « Energie » avant « matière », d’ailleurs, car la notion de transfert thermique est au centre de la conception de ces dispositifs. La région de Taichung est chaude et humide. Philippe Rahm met en lumière une suite de transferts mettant à contribution le milieu de l’homme pour rafraîchir son corps. Par exemple, les machines les plus complexes, « l’anticyclone » et « le vent du désert » génèrent un courant d’air dont la température est abaissée par géothermie (transfert par conduction dans le sol). Les ventilateurs sont alimentés au moyen de panneaux photovoltaïques situés dans le parc (transfert par radiation du soleil). Le souffle de ces machines produit un rafraîchissement de l’atmosphère par convection et facilite le mécanisme de thermolyse à l’œuvre dans le corps humain en surchauffe. Le sang est refroidi. La sueur à la surface de la peau s’évapore. Son changement d’état provoque un surcroît de fraîcheur (perte d’énergie). Philippe Rahm nous fait transiter par les longueurs d’onde et par les enzymes : ce sont des échelles dont l’architecture n’est pas coutumière. Il met l’architecture et le paysage en relation avec la physique et la biologie. Ce n’est pas le corps-proportions du Corbusier, c’est le corps des sciences de la vie. Ce n’est pas le transfert du puits (de pétrole) à la roue, mais du sol au sang.

L’architecte nous conduit ensuite à l’échelle d’un bâtiment, le climatorium, et centre son propos sur le confort : pour le corps des sciences de la vie, c’est maintenir une température presque constante - de 35.5 à 37.6 – et permettre aux organes de fonctionner correctement. L’architecture peut donc être envisagée comme un moyen de réguler la température corporelle. Philippe Rahm en fait la démonstration en déployant dans le climatorium trois « salles climatiques ». Mais à ce stade il est intéressant de revenir sur cette définition de l’architecture : « la construction de climats », parce que Philippe Rahm la pousse presque à l’extrême. Les trois salles sont des boîtes où le visiteur fait l’expérience de climats d’un autre lieu ou d’un autre temps. Les « couches », les « enveloppes », les « salles » feraient presque passer le bâti pour une boîte à froid sophistiquée. Alors que le mot « climat » embrasse aussi la lumière, les vues... Les effets de l’architecture sur le corps comme les effets de l’architecture sur la tête. C’est peut-être le format court de l’ouvrage qui justifie ce propos très resserré. D’ailleurs, les représentations graphiques aussi sont limitées par le format, car l’échelle proposée ne permet pas de percevoir les qualités des espaces.

En parallèle des salles climatiques, Philippe Rahm décline, au sein du climatorium, des gradations de climat. Pour lui, le programme d’un bâtiment doit intégrer ces gradients de confort : quels sont les espaces et activités pour lesquels il est tolérable de ressentir davantage l’humidité de l’air ? Le soleil direct ? Combien de temps va-t-on y rester ? Quels sont les espaces pour lesquels une ventilation naturelle est suffisante ? Il faut minimiser les volumes où le confort (l’air conditionné) est maximal car ce sont ceux qui sont le plus gourmands en énergie (et matériaux). Le bâti-boîte n’a plus lieu d’être, le naturel-artificiel trouve son dénouement dans des gradations de confort qui vont « diversifier la vie intérieure ». Les graphiques présentés dans l’ouvrage et l’expression écrite souffrent occasionnellement d’une sorte de redondance ; soit par peur d’un manque de clarté ; au moment d’introduire des notions des sciences de la vie et de la terre ; soit par coquetterie.

La dernière partie de ce petit livre est consacrée à la conception du plan masse du parc et elle est sous-tendue par les mêmes questions que les chapitres antérieurs : quel est le confort, pour quelles activités ? La première démarche est de simuler l’influence des masses bâties, des deux types de vent, des zones humides et des axes polluants. A partir de là, Philippe Rahm définit trois types de climat : le plus sec, le plus frais, le moins pollué ; et conçoit le paysage végétal du parc afin de renforcer ces micro-climats. C’est seulement après qu’il va distribuer les activités dans le parc : le sport (sec), le loisir des enfants (moins pollué), la détente (frais) ; car « la forme et la fonction suivent le climat ». Encore, la variété des expériences, la recherche de « gradients » (je file la métaphore thermique) pour diversifier la vie… tout court.

Le jardin météorologique, Philippe Rahm, Editions B2, collection Mini-mono, septembre 2019, B2-81.
Plus d’informations sur Nikola Jankovic et les éditions B2 :
https://babelio.wordpress.com/2019/10/31/quand-babelio-rencontre-les-editions-b2/